by Catherine Donati and Frédérique Petit
1. Introduction
On peut sans exagérer dire que Marc Yor a été le spécialiste des identités en loi. À chaque nouveau résultat, il n’avait de cesse de le réinterpréter à l’aide d’autres résultats connus, de croiser tout cela, dans le but d’en tirer le maximum, voulant toujours représenter les expressions étudiées à l’aide de quantités liées au mouvement brownien. Essayer de faire un panorama exhaustif sur ce sujet est impossible. Nous nous focaliserons donc sur quelques exemples, pris tout au long de la carrière de Marc.
Rappelons que la loi d’une variable aléatoire positive \( X \)1 est caractérisée par sa transformée de Laplace \( \varphi_X \): \[\varphi_X(\lambda) = \mathbb{E}[ \exp(- \lambda X)], \quad \lambda \geq 0,\] autrement dit: \begin{equation} \label{lem} X \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} Y \quad\iff\quad \varphi_X = \varphi_Y. \tag{1.1} \end{equation}
Dans le calcul de la transformée de Laplace \( \varphi_Y \) d’une variable \( Y \), il arrive bien souvent qu’on trouve une transformée de Laplace “connue”, disons \( \varphi_X \), d’où l’on déduit immédiatement que \begin{equation} \label{=loi} \tag{1.2} X \stackrel{(\mathrm{loi})}= Y. \end{equation} En général, Marc Yor ne se contentait pas de cette déduction et voulait comprendre plus profondément cette égalité en loi, l’expliquer (sans passer par le calcul parfois fastidieux des transformées de Laplace), voire l’enrichir par une égalité en loi bi(multi)dimensionnelle, qui ouvrirait la voie à d’autres pistes de recherche… L’autre sens de l’équivalence \eqref{lem} a aussi été largement utilisé dans les travaux de Marc Yor. Si on sait montrer par de jolis arguments probabilistes l’égalité en loi entre \( Y \) et \( X \) avec \( X \) de loi connue, on obtient alors la loi de \( Y \), dont le calcul direct (par exemple via la transformée de Laplace) n’était pas forcément aisé.
2. Lois de fonctionnelles browniennes
2.1. Fonctionnelles quadratiques du mouvement brownien
Nous présentons un exemple très simple du principe énoncé en introduction. Dans les années 1990, l’étude de la fonctionnelle quadratique du mouvement brownien \begin{equation} \label{gravite} \tag{2.3} V = \int_0^1 (B(t) - G)^2 \,dt,\quad \text{avec } G = \int_0^1 B(s) \,ds \end{equation} a reçu l’attention de différents groupes de probabilistes, en partie motivés par des applications à l’étude des polymères en physique (voir par exemple [e6]). Dans [3], les auteurs montrent l’égalité en loi suivante: \begin{equation} \label{Fub1} \tag{2.4} V \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \int_0^1 p^2(s) \,ds \end{equation} où \( p \) est un pont brownien. Or, la transformée de Laplace du membre de droite de \eqref{Fub1} est connue depuis les travaux de Lévy (1950): \[\mathbb{E}\biggl[ \exp\biggl( -\lambda \int_0^1 p^2(s) \,ds \biggr)\biggr] = \biggl( \frac{\sqrt{2\lambda}}{\sinh(\sqrt{2\lambda})} \biggr)^{\!1/2},\] d’où l’obtention de la transformée de Laplace de la loi de \( V \) sans calculs.
L’identité en loi \eqref{Fub1} est un cas particulier d’une identité en loi générale entre deux fonctionnelles quadratiques du mouvement brownien: pour toute fonction \( f \) de \( L^2([0,1]^2) \), \begin{equation} \label{Fub2} \tag{2.5} \int_0^1 \biggl(\int_0^1 f(u,s) \, dB_s\biggr)^{\!2} \,du \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \int_0^1 \biggl(\int_0^1 f(s,u) \,dB_s\biggr)^{\!2} \,du. \end{equation} L’identité \eqref{Fub1} s’obtient à partir de \eqref{Fub2} pour \( f(u,s) = 1_{s \leq u} - (1-s) \) et l’identité en loi \[ (p(s), s \leq 1) \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} (B_s - sB_1, s \leq 1) .\]
Enfin, terminons par la preuve de \eqref{Fub2}. Il suffit d’introduire un aléa supplémentaire, un second mouvement brownien \( C \) indépendant de \( B \), et une identité de Fubini: p.s. \[ \int_0^1 \biggl(\int_0^1 f(u,s)\, dB_s\biggr) \,dC_u = \int_0^1 \biggl(\int_0^1 f(u,s) \,dC_u\biggr) \,dB_s.\] On identifie alors les fonctions caractéristiques de chacun des deux membres à l’aide des transformées de Laplace des deux membres de \eqref{Fub2}.
L’introduction d’un mouvement brownien supplémentaire pour analyser les fonctionnelles quadratiques n’est pas sans rappeler la ”devise” de K. Itô (préface de [e4]), que nous reprenons du livre sur les peacocks ([13], p. xviii):
After some time, it became my habit, even for finite dimensional probabilistic phenomena, to look at an infinite dimensional related set up, the properties of which may illuminate/explain those of the finite dimensional set-up considered previously.
Nous renvoyons à l’article de F. Hirsch et B. Roynette (Théorème 2.2) dans ce volume pour une autre application de ce principe à l’étude des peacocks: l’introduction d’un drap brownien permet de retrouver sans calculs un résultat (techniquement difficile) de Carr et al. sur les options asiatiques.
Nous terminons ce paragraphe par une autre identité en loi entre fonctionnelles quadratiques obtenue par Shi et Yor [5]: \begin{equation} \label{eqSY} \tag{2.6} V_0 \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \tfrac{1}{4} (V+ \tilde{V}), \end{equation} où \( V \) et \( \tilde{V} \) sont deux copies indépendantes de loi \( V \) et \( V_0 \) est la fonctionnelle définie en \eqref{gravite} où l’on remplace \( B \) par le pont brownien \( p \). Là encore, cette identité en loi peut se déduire à partir de calculs de transformées de Laplace. Shi et Yor en proposent une démonstration simple à l’aide d’une transformation spatio-temporelle élémentaire d’un mouvement brownien plan.
2.2. Un des tout derniers travaux de Marc: loi d’un triplet lié au pseudo-pont brownien
Commençons par une petite histoire. Peu de temps après son recrutement comme professeur au LPMA (UPMC) en 2011, Mathieu Rosenbaum rencontre Marc Yor à la bibliothèque du laboratoire. Ils ne se connaissent pas vraiment. Pour Mathieu, qui s’intéresse à des problèmes de statistique issus de la finance, Marc est le spécialiste que l’on sait du mouvement brownien, il est un peu intimidé. Il se présente et Marc lui dit immédiatement qu’il a des questions de statistique à lui poser. Rendez-vous est pris pour la semaine suivante et Mathieu se met alors à travailler sur les problèmes issus de l’équation de Tsirelson dont Marc lui a parlé [e9]. Un an plus tard, Mathieu s’intéresse à une question de finance où, si \( B \) désigne un mouvement brownien standard et \( T_{a,1} \) le premier temps d’atteinte des barrières \( (-a,1) \), apparaît l’espérance de la variable \( T_{a,1}^{-1}\int_0^{T_{a,1}} B_s\, ds \). Cette quantité est liée à la valeur intrinsèque moyenne d’un actif entre deux changements de prix. Les simulations qu’il fait lui font remarquer qu’une variable proche de la précédente, \( X=T_{1}^{-3/2}\int_0^{T_{1}} B_s\, ds \), avec \( T_{1} \) le premier temps d’atteinte de 1, semble centrée. Cependant, il ne parvient pas à le montrer. Il décide d’en parler à Marc, qui accepte évidemment de passer l’après-midi sur le problème avec lui et lui suggère plusieurs références. Entre-temps, Romuald Élie s’est intéressé au problème, et, au début de l’été 2013, Mathieu Rosenbaum et Romuald Élie démontrent, en utilisant une approche équation aux dérivées partielles, que \( X \) est bien d’espérance nulle, en…15 pages très calculatoires. Mathieu montre alors la démonstration à Marc. Deux jours plus tard, il a tout relu et tout annoté: ”votre preuve me paraît juste, mais je ne comprends pas le phénomène”. Deux semaines passent et Marc revient voir Mathieu avec une preuve courte et élégante, accompagnée de corollaires étonnants, à coup bien sûr de processus de Bessel retournés, de théorèmes de Ray–Knight, …, en utilisant notamment le fait que \[\mathbb{E}\biggl[ T_1^{-3/2} \int_0^{T_1} B_s \, ds\biggr] = \mathbb{E}[T_1^{-1/2} B_{U T_1}], \] où \( U \) désigne une variable de loi uniforme sur \( [0,1] \). Cela donne une publication sur le sujet [15], et une fructueuse collaboration pour expliquer le résultat s’ensuit entre le jeune professeur et l’académicien à la veille de la retraite [17], [16], collaboration brutalement interrompue le 9 janvier 2014.
L’un des résultats de ce travail commun est le suivant.
Et sa conséquence ([16], Corollary 1.1), grâce au théorème de Lévy: \[\frac{B_{U T_1}}{\sqrt{T_1} } \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \frac{L_{U \tau_1} - \vert B_{U \tau_1} \vert }{\sqrt{\tau_1}} \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \Lambda L_1 - \tfrac{1}{2} \vert B_1 \vert.\] D’où il est immédiat de retrouver que \[\mathbb{E}\biggl[ \frac{1}{T_1^{3/2}} \int_0^{T_1} B_s \, ds \biggr] = \mathbb{E} \biggl[ \frac{B_{U T_1}}{\sqrt{T_1}} \biggr] = \mathbb{E} \bigl[ \Lambda L_1 - \tfrac{1}{2} \vert B_1 \vert\bigr] = \mathbb{E} \bigl[ \tfrac{1}{2} L_1 \bigr] - \tfrac{1}{2} \mathbb{E}[\vert B_1 \vert] = 0~!\]
3. Plongement de Skorokhod
Nous rappelons le problème de représentation de Skorokhod.
Soit \( X \) une variable aléatoire réelle, intégrable et centrée. Trouver une représentation de Skorokhod de \( X \) consiste à construire un temps d’arrêt \( T \) dans une filtration \( {\mathcal F}_t \) dans laquelle \( B \) est un mouvement brownien, vérifiant
(S1) \( B_T \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} X \),
(S2) \( (B_{t \wedge T}, t \geq 0) \) est une martingale uniformément intégrable.
Cette question a été posée initialement par Skorokhod en 1961 (traduction anglaise en 1965 [e1]) sous une forme légèrement différente, dans le but de prouver des principes d’invariance pour des marches aléatoires. Il existe de nombreuses façons de réaliser un plongement de Skorokhod. Nous renvoyons à l’article de J. Obloj [e8] qui recense 21 méthodes dans la littérature pour ce problème et ses extensions. Ces méthodes peuvent se séparer en 2 catégories:
- Skorokhod embedding (SE): le temps \( T \) est un temps d’arrêt pour la tribu naturelle du mouvement brownien \( B \) ;
- Randomized Skorokhod embedding (RSE): \( T \) est un temps d’arrêt par rapport à une filtration élargie.
La solution initiale proposée par Skorokhod entre dans le second cas avec l’introduction d’un aléa extérieur à \( B \).
La première contribution de Marc Yor à l’étude de ce problème date de 1979 dans un article commun avec Jacques Azéma [1], [2]. Par rapport aux constructions précédentes, la solution est explicite, adaptée à la filtration brownienne et ne nécessite pas un passage à la limite à partir de lois discrètes. Elle repose sur la théorie des martingales et peut se généraliser au plongement d’une variable aléatoire dans une diffusion réelle, récurrente.
Nous décrivons maintenant l’algorithme d’Azéma–Yor et la construction du temps d’arrêt dans la filtration brownienne.
3.1. La solution d’Azéma–Yor (1979)
Soit \( \mu \) une mesure de probabilité sur \( \mathbb R \) vérifiant: \[ \int |x| \,d\mu(x) < \infty \quad \text{et}\quad \int x \,d\mu(x) = 0.\] Nous définissons sa fonction de Hardy–Littlewood (ou fonction barycentre) par: \begin{equation} \label{barycentre} \tag{3.7} \Psi_\mu (x) = \frac{1}{ \mu([x, +\infty[)} \int_{[x, +\infty[} y \,d\mu(y) \quad \mbox{pour }x\mbox{ tel que } \mu([x, +\infty[) > 0 \end{equation} et \( \Psi_\mu (x) = x \) si \( \mu([x, +\infty[)= 0 \).
Soit \( (B_t, t \geq 0) \) un mouvement brownien issu de 0. Azéma et Yor introduisent le temps d’arrêt \begin{equation} \label{taAY} \tag{3.8} T_\mu:= \inf\{ t \geq 0, S_t \geq \psi_\mu(B_t) \}, \end{equation} où \( S_t = \sup_{s \leq t} B_s \) et montrent:
La preuve de ce théorème repose sur le résultat suivant: si \( F \) est une fonction de classe \( C^1 \), alors le processus \[(F(S_t) - (S_t-B_t) F^{\prime}(S_t) ; t\geq 0)\] est une martingale locale.
Le problème de représentation de Skorokhod existe dans la littérature depuis plus de 50 ans mais il reste un sujet actif, en particulier par son utilisation dans de nombreuses applications, par exemple en mathématiques financières (voir l’article de synthèse de Obloj [e8]). Nous présentons dans le paragraphe suivant quelques travaux récents de Marc Yor et de ses collaborateurs sur l’application du plongement de Skorokhod et la solution d’Azéma–Yor.
3.2. Applications
3.2.1. Construction de martingales markoviennes de marginales données
Dans l’article [9], D. Madan et M. Yor étudient des problèmes de construction de martingales, sous une nouvelle perspective motivée par des questions de mathématiques financières. Nous renvoyons à l’article de Hirsch et Roynette dans ce volume qui réfère à l’introduction de l’article de Madan–Yor et la motivation des auteurs.
La question mathématique est la suivante:
comment construire des martingales markoviennes \( (M_t)_t \) de loi marginale donnée \( g_t(x) \,dx \).
Nous supposons que la famille de densités \( g_t(x) \) indexée par le temps satisfait aux hypothèses: \[\int_{\mathbb R} |x| \, g_t(x) \,dx < \infty, \quad \int_{\mathbb R} x \, g_t(x) \, dx = 0,\] hypothèses nécessaires pour être les marginales d’une martingale issue de 0. D’après l’inégalité de Jensen, une autre condition sur \( g_t \) apparaît également nécessaire: la famille de probabilités \( d\mu_t(x) = g_t(x) \,dx \) est croissante pour l’ordre convexe, i.e. pour toute fonction \( \varphi \) convexe \begin{equation} \label{convexorder} \tag{3.9} \forall s \leq t, \quad \int_{\mathbb R} \varphi(x) \, g_s(x) \,dx \leq \int_{\mathbb R} \varphi(x) \, g_t(x) \,dx. \end{equation}
Le plongement de Skorokhod, par l’algorithme de Azéma–Yor, permet de construire une martingale markovienne \( (M_t) \) de loi marginale \( g_t(x) \,dx \) de la façon suivante.
Considérons la fonction barycentre \( \Psi_t \ (:= \Psi_{\mu_t}) \) associée à \( \mu_t \) par \eqref{barycentre}. Nous supposons que la famille \( \Psi_t(x) \) est croissante en \( t \), pour tout \( x \). Cette condition, appelée IMRV (pour ”increasing mean residual value”) est plus forte que la condition d’ordre convexe. En particulier, \eqref{convexorder} est vérifiée.
- \( M_t := B(T_t) \) est une martingale,
- \( (M_t, t\geq 0) \) est un processus de Markov inhomogène,
- pour chaque \( t > 0 \), la densité de \( M_t \) est \( g_t \).
Le temps d’arrêt \( T_t \) est défini par \eqref{taAY} associé à la fonction barycentre \( \Psi_t \). La condition IMRV assure la croissance de la famille \( (T_t)_t \) et donc la propriété de martingale.
Nous supposons maintenant que les densités satisfont à la propriété de changement d’échelle brownienne: \[g_t(x) = \frac{1}{\sqrt{t}} h\biggl(\frac{x}{\sqrt{t}}\biggr)\] ou de façon équivalente, à \( t \) fixé, \( M_t \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \sqrt{t} M_1 \). Dans ce cadre, la propriété IMRV se ramène à une hypothèse sur la fonction \( h \). Madan et Yor prouvent:
Ainsi, si \( h \) est log-concave, le théorème précédent permet donc de construire une martingale markovienne de loi marginale \( g_t(x) \,dx \).
3.2.2. Les peacocks
La section précédente a mis en évidence la notion de famille de probabilités croissante pour l’ordre convexe. Un Processus \( (X_t)_{t\geq 0} \) est Croissant pour l’Ordre Convexe si ses lois marginales forment une famille croissante pour l’ordre convexe, autrement dit, si pour toute fonction \( \varphi \) convexe, \[ \forall s \leq t, \quad \mathbb{E}[\varphi(X_s)] \leq \mathbb{E}(\varphi(X_t)]. \] Dans les années 2010, Marc Yor, en collaboration avec F. Hirsch et B. Roynette, a donné des méthodes de constructions explicites de martingales associées (de même loi marginale) à des PCOC (prononcer à l’anglaise “peacock”), dont l’existence est assurée par un théorème de Kellerer (1972), non constructif. Nous renvoyons à l’article ”Marc Yor et les peacocks” dans ce volume pour plus de détails.
Chemin faisant, une nouvelle méthode de plongement de Skorokhod est proposée par les auteurs [12], qui permet en particulier d’associer une martingale au PCOC \( \sqrt{t} X \), pour \( X \) intégrable, centrée.
Remarquons que le théorème 3.2 donne une construction sous des hypothèses supplémentaires sur \( X \) (par exemple, \( X \) à densité log-concave).
Nous présentons ce nouveau plongement de Skorokhod.
Remarques
- Le théorème précédent permet alors de construire une martingale associée à \( \sqrt{t} X \) pour \( X \) centrée, intégrable. En effet, considérons la famille croissante de temps d’arrêt \[T_t = \inf\{ t \geq 0, B_u = \sqrt{t} \ V \mbox{ ou } \ B_t = \sqrt{t} \, W \}, \] alors \( M_t := B(T_t) \) est une martingale, vérifiant la propriété de scaling brownienne et pour tout \( t \) fixé, \( M_t \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \sqrt{t} \, X \).
- Cette construction rentre dans la catégorie du plongement aléatoire (SRE): le temps d’arrêt \( T \) n’est pas adapté à la filtration naturelle de \( B \).
Elle est dans l’esprit de la construction initiale de Skorokhod et de Hall (voir l’article de review d’Obloj [e8]). Dans la construction de Hall, le temps d’arrêt est défini comme dans \eqref{ta22} pour un couple de variables aléatoires \( (V,W) \) indépendant de \( B \) dont la loi est explicite (cependant, \( V \) et \( W \) ne sont pas indépendantes). La loi de \( (V,W) \) dans le Théorème 3.3 n’est pas explicite et repose sur un théorème de point fixe.
4. Transformation de Lamperti et extension de Bougerol
4.1. La transformation de Lamperti
Un processus de Markov \( (X(t) ; t \geq 0) \) à valeurs dans \( \mathbb{R}_+ \) est dit semi-stable si, en désignant par \( P_x \) sa loi lorsqu’il est issu de \( x \), on a: \[\forall c > 0,\ \forall x > 0,\quad \biggl( \frac{1}{c}X(ct), t \geq 0 ; P_{cx} \biggr) \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} (X(t), t \geq 0 ; P_{x}).\] En 1972, motivé par certains théorèmes limites, J. W. Lamperti met en évidence le lien entre les processus de Markov semi-stables et les processus de Lévy en utilisant un changement de temps [e2]. Plus précisément, il montre qu’à tout processus de Lévy réel \( \xi \), on peut associer un unique processus de Markov semi-stable à valeurs dans \( \mathbb{R}_+ \) tel que, si \( A_t(\xi) = \int_0^t \exp(\xi_s)\, ds \): \begin{equation}\label{Levy1} \tag{4.11} \begin{split} \forall t \geq 0, \quad &\exp(\xi_t) = X_{A_t(\xi)}, \quad\hbox{et}\quad \\ T_0(X) =A_{\infty}(\xi) , \quad&\hbox{où } T_0(X) \equiv \inf\{u; X_u = 0 \hbox{ ou } X_{u-} = 0\}. \end{split} \end{equation} Et réciproquement, à tout processus de Markov semi-stable à valeurs dans \( \mathbb{R}_+ \), il montre qu’on peut associer un processus de Lévy réel \( \xi \) tel que l’équation \eqref{Levy1} soit vérifiée, ce qui peut encore s’écrire: \begin{equation}\label{Levy2} \tag{4.12} \forall u < T_0(X), \quad X_u = \exp(\xi_{C_u}) , \quad\hbox{où } C_u = \inf\{s; A_s(\xi) > u\} = \int_0^{u} \frac{ds}{X_s}. \end{equation} Cet outil fut curieusement peu développé pendant de nombreuses années.
4.2. Le résultat de D. Dufresne sur les perpétuités
En 1990, dans [e5], Daniel Dufresne détermine la loi d’une perpétuité, c’est-à-dire la valeur actuelle \( A_{\infty} \) d’une rente perpétuelle à paiement continu lorsque le taux de capitalisation est représenté par un mouvement brownien géométrique: \[{A_{\infty}(\xi^{\sigma, \nu})= \int_{0}^{+\infty} \exp(\sigma B_s - \nu s) \, ds}, \quad \xi_s^{\sigma, \nu} = \sigma B_s - \nu s, \,\,\nu > 0.\] Cette variable joue un rôle important dans de nombreux domaines (mathématiques financières, études en environnement aléatoire, physique, …).
Reprenant alors les travaux de Lamperti, Marc Yor étudie entre autres les liens entre les générateurs infinitésimaux des processus \( \xi \) et \( X \) associés par la transformation de Lamperti: \[L^X f(x) = \frac{1}{x} L^{\xi}(f \circ \exp)(\ln x) \quad\hbox{et} \quad L^{\xi}f(z) = e^{z} \,L^X(f \circ \ln)(e^{z}).\] Ainsi, lorsque \( \xi_t = 2(B_t - \nu t) \) est un mouvement brownien avec drift (\( \nu > 0 \)), le générateur infinitésimal du processus semi-stable associé est \[L^X f(x) = 2(1-\nu) f^{\prime}(x) + 2x f^{\prime\prime}(x).\] On reconnaît le générateur infinitésimal du carré du processus de Bessel de dimension \( 2(1-\nu) \). Dans ce cas, la transformation de Lamperti s’écrit alors: \[\forall t \geq 0, \quad \exp[2(B_t - \nu t)] = R^{(2(1-\nu))}\biggl(\int_0^t \exp[2(B_s - \nu s)] \,ds\biggr),\] où \( R^{(\alpha)} \) est un carré de Bessel de dimension \( \alpha \) issu de 1. Cela entraîne: \[A_{\infty}(\xi^{2, 2\nu}) \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} T_0(R^{(2(1-\nu))})\stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \frac{1}{2 \, G_{\nu}},\] ce qui permet, grâce au résultat de Getoor sur le temps d’atteinte de zéro par un processus de Bessel, de retrouver de façon élégante le résultat de Dufresne ci-dessus sur les perpétuités [4].
La transformation de Lamperti appliquée à d’autres exemples de processus semi-stables positifs, comme la norme d’un processus de Cauchy, a permis d’obtenir d’autres jolis résultats [8], et, en 2003, dans [10], M. Jacobsen et M. Yor étendent cette fois les travaux de Lamperti aux processus de dimension \( n \), et plus particulièrements aux cas où le processus de Lévy \( \xi \) est un mouvement brownien avec drift ou un processus de Poisson composé de dimension \( n \).
4.3. Les processus d’Ornstein–Uhlenbeck généralisés
Dans le cas particulier où \( \xi_t = \lambda t \) et où \( \eta \) est un mouvement brownien standard, on reconnaît le processus d’Ornstein–Uhlenbeck classique, d’où le nom de processus d’Ornstein–Uhlenbeck généralisé donné au processus \( Y \).
- \( \xi_t \) tend vers \( -\infty \) presque sûrement;
- la fonctionnelle \( A_{\infty}(\xi, \eta) \equiv \int_0^\infty \exp(-\xi_{s^{-}}) \, d \eta_s \) est définie et presque sûrement finie.
Alors, la loi de \( A_{\infty}(\xi, \eta) \) est l’unique loi stationnaire du processus d’Ornstein–Uhlenbeck associé au couple \( (\xi, \eta) \).
En identifiant alors la mesure invariante du processus d’Ornstein–Uhlenbeck associé, on retrouve la loi de nombreuses fonctionnelles \( A_{\infty}(\xi, \eta) \), en particulier lorsque \( \eta_t =t \) (cas du mouvement brownien avec drift ou du processus de Poisson composé avec drift), mais aussi lorsque \( \xi \) et \( \eta \) sont des mouvements browniens avec drift, y compris en cas de dépendance [8]. Des tentatives ont été faites pour étendre ces méthodes au cas multidimensionnel.
4.4. L’identité de Bougerol
Depuis que Ph. Bougerol a énoncé en 1983 la célèbre identité qui porte son nom, cette dernière n’a eu de cesse d’être étudiée et étendue par de nombreux auteurs, soit en raison d’un intérêt purement mathématique, soit en raison de son rôle en mathématiques financières. L’ identité de Bougerol s’énonce ainsi:
Cette identité peut encore se réécrire sous la forme: \[\forall t > 0, \quad \int_0^t \exp(B_s) \, dW_s \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \sinh (B_t).\] On reconnaît dans le membre de gauche un processus lié aux processus d’Ornstein–Uhlenbeck généralisés lorsque \( \xi = B \) et \( \eta = W \): \[\int_0^t \exp(B_{s^{-}}) \, dW_s \stackrel{(\mathrm{loi})}{=} \exp(B_t) \, \int_0^t \exp(-B_{s^{-}}) \, dW_s. \]
L’identité de Bougerol en découle en montrant, grâce à la formule d’Itô, que les processus \( (Y_t \equiv \exp(B_t) \, \int_0^t \exp(-B_{s^{-}}) \, dW_s ; t \geq 0) \) et \( (\sinh(B_t) ; t \geq 0) \) ont même loi [6]. Dès lors, la littérature a fleuri sur le sujet et les extensions de ce résultat ont été nombreuses. Citons-en quelques-unes:
- dans [6], L. Alili, D. Dufresne et M. Yor étendent le résultat au cas où les mouvements browniens qui interviennent possèdent un drift non nul ;
- dans [e7], L. Alili et J.C. Gruet, s’intéressent à des quantités analogues pour le mouvement brownien hyperbolique ;
- parmi les extensions multi-dimensionnelles, citons celle de J. Bertoin, D. Dufresne et M. Yor qui concerne le couple \( (\sinh(B_t), \sinh(L_t)) \), où \( L \) désigne le temps local en 0 du mouvement brownien \( B \) [14].
Nous renvoyons à [e10] pour un panorama très complet des résultats liés à l’identité de Bougerol dans la littérature.
Nous remercions tout particulièrement Mathieu Rosenbaum qui a pris le temps de nous raconter sa rencontre et son travail avec Marc, et de compléter avec soin le paragraphe qui y est consacré.