by Francis Hirsch and Benard Roynette
Dans l’introduction de l’article Madan–Yor [1], la motivation des auteurs est ainsi expliquée:
The role of martingales in the study of stochastic processes, and more generally, probability theory, cannot be overemphasized (see Williams 1991). Mathematical finance, in particular, recognizes martingales as central to the description of economic uncertainty. This paper studies the construction of martingales from a novel perspective motivated by questions arising in the markets for financial derivatives. The more traditional perspective, taken for example in the structure of martingale representation theorems, is to describe all the martingales on a certain underlying stochastic basis. Financial markets trading derivatives, however, identify through option prices the marginal densities of the stochastic process at various — and in principle all future — time points. The underlying stochastic basis is unknown. Conditions of no arbitrage in markets lead us to enquire into the structure of martingales consistent with a prespecified set of marginal densities.
It is useful in the first instance, from both an analytical and a practical perspective, to restrict attention to martingales with the Markov property. Hence, we describe the construction of Markov martingales with fixed marginals.
Le texte ci-dessus décrit ce qui semble bien être une des raisons principales de l’intérêt de Marc Yor, au début des années 2000, pour ce problème de construction de martingales (markoviennes) de marginales données.
En fait, ce problème est intimement lié, du point de vue théorique, avec une série d’études, menées au cours des années 60, sur l’ordre convexe (voir, en particulier, [e1], [e2], [e3]), et ayant conduit notamment au théorème de Kellerer [e4], qui avait été un peu oublié depuis lors.
Rappelons que l’on appelle Processus Croissant pour l’Ordre
Convexe un processus \( (X_t,t\geq 0) \), à valeurs réelles, qui
est intégrable (i.e., pour tout \( t \),
\( \mathbb{E}[|X_t|] < \infty \)) et tel que, pour toute fonction convexe
\( \varphi \) sur \( \mathbb R \), la fonction:
\[
t\geq 0 \mapsto\mathbb{E}[\varphi(X_t)]\in\mathopen{]}-\infty,+\infty]
\]
est croissante. Au cours des travaux de Marc Yor, ces processus ont
été désignés, à partir de
[5],
par l’acronyme
PCOC. Puis Marc, conformément à son goût pour les jeux de
mots, a proposé de remplacer cet acronyme par sa prononciation
“à l’anglaise”, c’est à dire peacock.
C’est la terminologie qui est adoptée dans la monographie
[10],
et que nous adoptons aussi, par commodité, dans la suite de ce texte.
Il est clair que si \( (X_t,t\geq 0) \) est un peacock, tout processus \( (Y_t,t\geq 0) \) ayant mêmes 1-marginales (i.e. tel que, pour tout \( t \), \( Y_t \) et \( X_t \) ont même loi) est aussi un peacock. Deux processus ayant mêmes 1-marginales seront dits associés. D’après l’inégalité de Jensen sur les espérances conditionnelles, toute martingale est un peacock, et donc tout processus associé à une martingale est un peacock. Le théorème de Kellerer établit la réciproque de ce résultat élémentaire. (En fait, le théorème de Kellerer concerne plus généralement les processus croissants pour l’ordre défini par les fonctions convexes croissantes, processus auxquels il associe des sous-martingales.)
La preuve de ce théorème, difficile, n’est pas constructive. Ceci se comprend aisément, du fait de la non unicité des martingales associées à un peacock. Un des principaux objectifs des travaux de Marc Yor dans ce domaine a été de donner, dans des situations aussi larges que possible, des méthodes de construction explicite de martingales associées.
D’autre part, compte-tenu de l’importance des peacocks en mathématiques financières, notamment dans l’évaluation et la gestion des risques pour des portefeuilles d’options, Marc Yor s’est intéressé aussi à la détermination de larges classes de peacocks. Nous allons maintenant essayer de décrire quelques-uns des résultats obtenus.
1. Le processus \( (t\,X,t\geq 0) \)
La question se pose donc de déterminer, pour une variable aléatoire \( X \) intégrable et centrée, des martingales associées au peacock \( (t\,X,t\geq 0) \). Ceci a été résolu, éventuellement sous certaines conditions, par différentes méthodes. Nous donnons ci-après quelques exemples.
1.1 Plongement de Skorokhod
- la famille \( (\tau_t,t\geq 0) \) est croissante (i.e., pour tout \( s\leq t \), \( \tau_s\leq\tau_t \) p.s.),
- pour tout \( t\geq 0 \), \( t\,X\stackrel {\textup{(loi)}}{=}B_{\tau_t} \),
- pour tout \( t\geq 0 \), \( (B_{u\wedge\tau_t}, u\geq 0) \) est une martingale uniformément intégrable.
Ainsi, \( (M_t:=B_{\tau_t}, t\geq 0) \) est une martingale associée à \( (t\,X,t\geq 0) \).
Dans
[1]
et
([9], Section 2),
ce théorème est démontré en utilisant le plongement de Skorokhod d’Azéma–Yor, sous des hypothèses supplémentaires sur \( X \). Dans ce cas, la filtration \( (\mathcal{F}_t) \) est la filtration naturelle du brownien \( (B_t,t\geq 0) \), la martingale \( (M_t,t\geq 0) \) est continue à droite, possède la propriété de Markov et vérifie la propriété d’homogénéité:
\begin{equation}\label{one}
\forall c > 0,\quad (M_{ct},t\geq 0)\stackrel{\textup{(loi)}}{=}(c\,M_t,t\geq 0).\tag{H}
\end{equation}
Dans
([9], Section 1),
le théorème 1.1 est démontré, dans le cas général, à partir d’une nouvelle méthode de plongement de Skorokhod. La martingale obtenue est continue à droite et vérifie \eqref{one}.
Signalons que, dans ([10], Chapter 7), des martingales associées à d’autres familles de peacocks de la forme \( (\Phi(t,X),t\geq 0) \) sont aussi obtenues par des méthodes de plongement de Skorokhod.
1.2 Le cas \( X=\int_0^{1}{R^2(s)}\,\mathrm{d}s-1 \), avec \( (R_t,t\geq 0) \) processus de Bessel de dimension 2 issu de 0
Un tel processus \( (M_t,t\geq 0) \), à accroissements indépendants et vérifiant une propriété d’homogénéité telle que \eqref{one}, est appelé processus de Sato. Ces processus jouent un rôle important dans plusieurs travaux de Marc, et en particulier dans la théorie des peacocks (voir, notamment, [5] et ([10], Chapter 5).
1.3 Le cas où \( X \) est une variable normale centrée
2. Options asiatiques et la méthode du drap
Alors, \( (X_t,t\geq 0) \) est un peacock.
Dans [2], en exhibant une martingale associée à ce processus \( (X_t,t\geq 0) \) construite à l’aide d’un drap, les auteurs ont donné une preuve de ce résultat, très simple, très élégante et porteuse de généralisations fécondes.
Une partie des travaux de Marc Yor sur les peacocks, de 2008 à 2011, a été consacrée à des extensions variées de ces théorèmes 2.1 et 2.2. Nous décrivons ci-après un schéma général, introduit dans [6].
On considère un espace mesurable \( \Lambda \) et, pour tout \( t\geq 0 \), un processus mesurable à valeurs réelles: \[Y_{\bullet,t}=(Y_{\lambda,t},\lambda\in\Lambda)\] tel que \[\forall \lambda\in\Lambda,\;\forall t\geq 0,\quad \mathbb{E}[\exp(Y_{\lambda,t})] < \infty.\] Pour toute mesure signée finie \( \sigma \) sur \( \Lambda \), on pose: \[A_t^{(\sigma)}=\int_{\Lambda}\frac{\exp(Y_{\lambda,t})}{\mathbb{E}[\exp(Y_{\lambda,t})]}\,\sigma(\mathrm{d}\lambda),\quad t\geq 0.\] La méthode du drap s’exprime de la façon suivante:
Alors le processus: \[M_t^{(\sigma)}:=\int_{\Lambda}\frac{\exp(Z_{\lambda,t})}{\mathbb{E}[\exp(Z_{\lambda,t})]}\,\sigma(\mathrm{d}\lambda),\quad t\geq 0\] est une \( (\mathcal{Z}_t) \)-martingale associée à \( (A_t^{(\sigma)},t\geq 0) \) (qui est donc un peacock).
Dans plusieurs situations, l’hypothèse de la proposition ci-dessus est satisfaite, c’est à dire que l’on peut montrer l’existence d’un drap vérifiant \( (H_1) \) et \( (H_2) \). Quelques exemples.
- Soit \( (L_t,t\geq 0) \) un processus de Lévy réel partant de 0, vérifiant: \[\forall \alpha\geq 0,\quad \mathbb{E}[\exp(\alpha \,L_1)] < \infty,\] et \( \Lambda=\mathbb R_+ \). On pose alors \( Y_{\lambda,t}=L_{\lambda t} \). Cet exemple est traité dans [4].
- Soit \( (L_t,t\geq 0) \) un processus de Lévy réel partant de 0, vérifiant: \[\forall \alpha\geq 0,\quad \mathbb{E}[\exp(\alpha \,L_1)] < \infty,\] et \( \Lambda=\mathbb R_+ \). On suppose de plus que \( L_1 \) est une variable “self-decomposable”. On pose alors \( Y_{\lambda,t}=t\,L_{\lambda} \). Cet exemple est traité dans [7].
- On suppose que \( \Lambda \) est un espace métrique séparable et que, pour tout \( t\geq 0 \), \( (Y_{\lambda,t},\lambda\in\Lambda) \) est un processus gaussien réel centré mesurable. On pose
\[c_{\lambda,\mu}(t)=\mathbb{E}[Y_{\lambda,t}\,Y_{\mu,t}],\]
et on suppose que \( (\lambda,\mu,t)\mapsto c_{\lambda,\mu}(t) \)
est continue. Alors la proposition 2.1 s’applique sous la condition supplémentaire:
Pour tout \( n\geq 1 \), pour tous \( \lambda_1,\cdots,\lambda_n\in\Lambda \), la fonction à valeurs dans les matrices \( n\times n \) de type positif: \[ t\in\mathbb R_+\mapsto (c_{\lambda_j,\lambda_k}(t))_{1\leq j,k\leq n} \] est croissante pour l’ordre habituel sur les matrices \( n\times n \) de type positif.
Cet exemple est traité dans [11].
Pour conclure cette section, signalons une autre extension du théorème 2.1: Si \( (M_t, t\geq 0) \) est une martingale, le processus \[X_t=\frac{1}{t}\int_0^tM_s\,\mathrm{d}s,\quad t\geq 0\] est un peacock (voir Theorem 1.4 de [10]).
En plus des méthodes de plongement de Skorokhod et du drap, Marc s’est intéressé à bien d’autres façons d’associer une martingale à un peacock. Citons la méthode de retournement du temps, celle de l’inversion du temps, celle de l’utilisation des processus de Sato, etc. (cf. [10]).
Nous terminons ce bref aperçu du travail de Marc sur les peacocks en évoquant la méthode de l’équation différentielle stochastique.
3. La méthode de l’équation différentielle stochastique
- \( t\geq 0\longrightarrow\mathbb{E}[X_t] \) est constante et \( C \) est continue sur \( \overline{U} \);
- il existe une fonction \( a \) continue sur \( \overline{U} \) et strictement positive sur \( U \), telle que \[\frac{\partial}{\partial t}C(t,x)=a(t,x)\,p(t, \mathrm{d}x)\quad\mbox{dans}\quad \mathcal{D}^{\prime}(U).\]
(On peut remarquer que les hypothèses ci-dessus impliquent directement que \( (X_t,t\geq 0) \) est un peacock.)
Alors:
- Il y a existence et unicité (en loi) d’une solution faible de l’équation \[Y_t=Y_0 +\int_{0}^{t}{\sqrt{2\,a(s,Y_s)}}\,\mathrm{d}{B_s},\quad Y_0\stackrel{\textup{(loi)}}{=}X_0.\]
- La solution faible de l’equation ci-dessus est une martingale continue, associée à \( (X_t,t\geq 0) \) et qui a la propriété de Markov.
Ce théorème a des variantes, avec des hypothèses plus faibles sur la fonction \( a \).
Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, les relations entre l’ordre convexe des processus et les martingales ont été très étudiées dans les années 60, avec en conclusion le théorème de Kellerer (1972). Puis ces résultats sont tombés dans un oubli quasi complet pendant près de 30 ans. Il a fallu la vaste culture de Marc, son goût pour l’étude “concrête” des processus et le regain d’intérêt pour les martingales dû aux mathématiques financières, pour les tirer de leur léthargie. La puissance de travail et le talent de Marc ont fait le reste: la théorie des peacocks a pu renaitre de ses cendres. Nul doute que ce pan des probabilités ait encore de beaux jours devant lui.
Pour conclure cet aperçu des travaux de Marc Yor sur les peacocks, nous ne pouvons mieux faire que reproduire la page xii de la monographie [10]. Cette page porte l’empreinte de Marc. Elle exprime bien son goût pour l’art et pour la poésie, et en particulier pour les Haiku. Il aimait bien aussi, entre deux calculs, composer des poèmes…